Pour qui concevons-nous désormais ?

Le design n’est plus réservé aux humains : avec l’essor des agents IA, les designers doivent concevoir pour les personnes et les machines.

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L’intelligence artificielle ne bouleverse pas seulement l’industrie du logiciel : elle transforme à une vitesse vertigineuse la manière même dont nous concevons le design. Il y a encore peu de temps, les designers passaient leurs journées à peaufiner des maquettes pixel-perfect, à jongler avec les variables Figma et à optimiser chaque micro-interaction. Désormais, des outils comme v0, Lovable ou Cursor permettent de prototyper instantanément des interfaces sur la base d’une simple intention, rendant les méthodes classiques presque désuètes.

Dans ce contexte, la question essentielle n’est plus celle de la fidélité des maquettes, mais celle de la clairvoyance : comment anticiper, construire des systèmes pérennes et penser plusieurs années en avance, tout en continuant à résoudre les problèmes concrets d’aujourd’hui ? Ce double enjeu entre vision long terme et valeur immédiate, crée un nouveau dilemme passionnant pour les designers : pour qui concevons-nous vraiment aujourd’hui ?

Car avec l’intégration croissante des agents d’IA comme collaborateurs invisibles, l’expérience utilisateur ne s’adresse plus uniquement aux humains. Nous entrons dans une ère où nous devons concevoir pour deux publics distincts mais interdépendants : les personnes… et les programmes.

L’IA comme nouvel utilisateur

Traditionnellement, le design produit repose sur une compréhension profonde de l’expérience humaine : comment un utilisateur perçoit une interface, comment il la trouve intuitive, agréable ou frustrante. Mais un agent d’IA ne ressent rien. Il ne perçoit pas. Il analyse. Il segmente en tokens, reconnaît des motifs, calcule des probabilités et interprète strictement les instructions.

Concevoir pour ces agents, c’est bâtir des interfaces qui restent accessibles aux humains mais qui parlent aussi un langage lisible pour les machines. Cela signifie utiliser des structures de données claires, du HTML sémantique, des rôles accessibles, des métadonnées cohérentes. Si une interface ressemble à de la poésie pour un humain mais à un brouhaha incompréhensible pour un modèle de langage, l’expérience future où humains et IA interagiront ensemble est compromise.

Le design « IA-friendly » n’est donc pas centré sur l’esthétique, mais sur la rigueur contractuelle : syntaxe cohérente, repères lisibles, sémantique robuste. Plus vos interfaces peuvent être utilisées par une machine elle-même, plus elles sont pérennes pour l’avenir.

De l’empathie pour des entités sans émotions

Parler d’empathie à propos d’agents d’IA semble absurde. Comment avoir de l’empathie pour quelque chose qui ne ressent rien ? Pourtant, il s’agit d’un type particulier d’empathie : non pas émotionnelle, mais systémique. Il s’agit d’imaginer ce dont l’IA a besoin pour ne pas « casser » : comment réagit-elle face à une donnée inattendue ? Est-elle susceptible de « hallucinier » ? Va-t-elle tourner en boucle si une instruction est ambiguë ?

Concevoir pour les agents revient à anticiper les modes de défaillance, à éviter les zones grises, à prévoir des plans de repli. Comme pour l’accessibilité, on ne cherche pas à se mettre à la place de l’utilisateur émotionnellement, mais à prendre en compte un autre type de capacités et de contraintes.

Trop peu de contexte, et l’agent échoue. Trop de données, et il s’y perd. Trouver le bon équilibre est un exercice d’architecture autant que de design.

L’équilibre délicat entre humains et machines

Les humains aiment les interfaces expressives, surprenantes, émotionnellement engageantes. Les agents, eux, préfèrent les structures cohérentes, répétitives, prévisibles. Les designers doivent désormais satisfaire ces deux publics en même temps. La couche sémantique des interfaces labels, rôles, structures, hiérarchie devient alors un outil doublement critique. Elle aide les humains à se repérer, mais fournit également aux IA les repères dont elles ont besoin pour naviguer et interpréter correctement l’interface.

Or, la majorité des interfaces conçues jusqu’ici ne prenaient pas suffisamment en compte cette dimension sémantique. Nous sommes devenus experts dans la création de surfaces visuelles séduisantes, mais pas forcément lisibles par des machines. Avec l’arrivée des agents, nous devons réintroduire du sens dans nos conceptions. Plus votre interface est sémantiquement claire, plus une IA pourra l’exploiter.

Des personas qui incluent désormais des agents

Dans les méthodes de design, les personas servent à représenter les utilisateurs cibles. Jill, par exemple, rédactrice expérimentée, qui adore ponctuer ses textes de points d’exclamation. Désormais, un autre type de persona doit entrer dans la salle : Bot-1, un agent de traduction qui privilégie la précision, fonctionne par déclencheurs API, ne supporte pas les idiomes et a besoin d’un maximum de contexte sémantique.

Les agents ont des capacités, des limites, des objectifs. Ils nécessitent des formats précis, des boucles de retour cohérentes. Ils ne se lassent pas, mais ils se « perturbent » si l’information est trop vague ou trop abondante. Créer des bot-personas devient donc une pratique essentielle : définir leurs points forts, leurs contraintes, leur rôle dans le système, et surtout la manière dont ils interagissent avec les personas humains. Quand Jill doit-elle corriger Bot-1 ? Quand Bot-1 doit-il assister Jill ? C’est dans ce jeu de collaboration et de complémentarité que se construit le design de demain.

Vers des systèmes multi-agents

Nous passons d’interfaces conçues pour un seul utilisateur à des écosystèmes collaboratifs impliquant humains, agents d’IA, workflows et chaînes de décision. Le rôle du design devient celui d’un chef d’orchestre : coordonner la visibilité (qui a fait quoi ? un humain ou un agent ?), la synchronisation (quand l’agent doit-il agir ou attendre une validation ?), la confiance (comment permettre à l’humain de valider une décision de l’IA, et inversement ?), ainsi que le contexte (quelles informations doivent circuler entre les deux ?).

On peut même imaginer des principes de « disclosure progressive » appliqués aux agents : leur fournir uniquement les métadonnées et le contexte nécessaires, sans les surcharger d’informations inutiles.

Le tableau de bord devient alors l’équivalent d’un tableau blanc partagé : journaux d’activité, annotations, fils d’Ariane sémantiques. Des espaces conçus pour que les humains et les IA puissent travailler ensemble en toute transparence.

Alors, pour qui concevons-nous ?

La réponse honnête est simple : pour tout le monde. Pour les humains, avec leur intuition, leurs émotions, leurs besoins de clarté et de cohérence. Mais aussi pour les agents, qui exigent rigueur, constance et lisibilité.

Loin d’être opposés, ces deux publics partagent en réalité des attentes communes : les humains apprécient aussi la logique et la cohérence, tandis que les IA « cassent » face à une complexité excessive. Le défi du design contemporain est donc de concilier ces besoins en apparence divergents pour créer un écosystème de collaboration.

Réussir ce pari permettra aux humains de travailler avec moins de frictions et davantage de créativité, et aux IA de produire des résultats fiables et utiles. Le futur du design se trouve dans cette alliance, où chaque partie apporte ses forces et compense les faiblesses de l’autre.

Un nouveau rôle pour les designers

Notre métier change profondément. L’essor de l’intelligence artificielle ne nous dispense pas de penser aux besoins humains, mais nous oblige à élargir notre définition de ce qu’est « l’utilisateur ». Ce n’est plus seulement Jill qui clique sur le bouton en haut à droite, mais aussi l’agent invisible qui traduit ses intentions en données exploitables.

Peut-être que les titres classiques comme « UX Designer » ou « UI Designer » ne suffisent plus à décrire cette évolution. Nous sommes en train de devenir des AI/UX/UI Designers, capables de concevoir pour une constellation d’utilisateurs humains et artificiels, dans un système où la collaboration prime sur le contrôle.

La question « pour qui concevons-nous ? » n’a donc plus une seule réponse. Elle en a deux. Et c’est dans cet équilibre entre humains et IA que se dessine le futur du design.

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