La fin du titre "UX Designer" ? Shopify relance le débat sur l'avenir du design

En juin 2025, Carl Rivera, directeur du design chez Shopify, a créé un véritable séisme dans la communauté design en annonçant la suppression des titres "UX Designer" et "Content Designer" au sein de l'entreprise. Désormais, les règles sont simples : on est Designer si on conçoit, Writer si on rédige. Cette décision, loin d'être anodine, interroge l'évolution de notre métier à l'ère de l'intelligence artificielle.

Une annonce qui divise la communauté

L'annonce sur X (anciennement Twitter) a immédiatement enflammé les réseaux sociaux professionnels. LinkedIn, Twitter, Reddit... partout, les designers débattent avec passion de cette décision radicale. Ce qui frappe, c'est que Shopify assume publiquement cette position, signalant peut-être un changement plus profond dans l'industrie.

La philosophie de Rivera est claire : l'UX représente aujourd'hui le minimum acceptable, ce que l'intelligence artificielle peut désormais gérer efficacement. Le véritable défi pour les designers réside dans leur capacité à créer des expériences inoubliables, portées par le goût et la vision esthétique.

"L'IA permet à n'importe qui de rendre les choses utilisables. Notre travail consiste à les rendre inoubliables", résume-t-il. Cette vision place l'émotion et l'esthétique au cœur du métier de designer, reléguant l'utilisabilité au rang de prérequis technique.

L'IA redéfinit-elle vraiment les contours du design ?

L'argument central de Shopify mérite réflexion : si l'intelligence artificielle maîtrise effectivement les fondamentaux de l'UX - wireframes, interfaces standardisées, copywriting basique, prototypage rapide - alors le rôle du designer doit évoluer vers une dimension plus créative et émotionnelle.

Cette approche suggère que la valeur ajoutée humaine se situe désormais dans la capacité à insuffler une personnalité, un style, une poétique au produit. Le titre "UX Designer" deviendrait alors limitant, enfermant les créateurs dans une vision purement fonctionnelle du design.

Des réactions contrastées qui révèlent les tensions du métier

La communauté design se divise face à cette annonce. Certains applaudissent le retour à une vision unifiée du design, libérée des cloisonnements de titres parfois artificiels. D'autres s'inquiètent de voir disparaître des responsabilités cruciales : qui s'occupera de la recherche utilisateur ? De la stratégie d'interaction ? De la rédaction UX ?

Un commentaire sur Reddit synthétise bien cette inquiétude : "Le problème est simple. Les gens continuent d'appeler des décisions d'interface 'UX' et s'étonnent que l'expérience reste défaillante. L'UX ne concerne pas le goût ou les tendances... Il s'agit de savoir si ça fonctionne, si les utilisateurs comprennent, si on supprime les frictions."

Cette réaction souligne une crainte légitime : celle de voir l'approche méthodique et scientifique de l'UX se diluer dans une vision plus subjective du design.

Les risques d'une simplification excessive

Supprimer le titre "UX Designer" n'est pas neutre. Cette décision soulève plusieurs préoccupations :

Pour la clarté organisationnelle : Comment les entreprises définiront-elles les responsabilités sans ces repères professionnels établis ? Les profils juniors perdent également des références claires pour construire leur parcours de carrière.

Pour la méthodologie : Les pratiques rigoureuses de recherche utilisateur, d'analyse des frictions et de hiérarchisation des tâches risquent de s'estomper au profit de choix esthétiques intuitifs.

Pour l'équilibre des compétences : Cette approche favorise naturellement les talents visuels au détriment des profils excellant en stratégie produit ou en méthode scientifique.

La question centrale demeure : si tout le monde devient "Designer", qui garantit que l'expérience utilisateur reste au cœur des préoccupations ?

Impact sur l'évolution du métier

Cette transformation reflète une réalité : l'intelligence artificielle démocratise effectivement certains aspects techniques du design. Les outils de prototypage, les bibliothèques de composants, les patterns d'interface deviennent plus accessibles et automatisés.

Pour les designers, cela implique de redéfinir leur proposition de valeur. L'expertise technique pure ne suffit plus ; il faut développer une sensibilité esthétique, une compréhension fine des émotions utilisateur et une capacité à créer des expériences mémorables.

Cependant, cette évolution ne doit pas faire oublier que la recherche utilisateur, l'analyse comportementale et la conception de parcours complexes restent des compétences essentielles que l'IA ne peut pas encore remplacer totalement.

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Vers une hybridation des compétences

L'avenir du design se dessine probablement dans une approche hybride. Les designers de demain devront combiner :

• L'efficacité technique permise par l'IA pour les tâches standardisées
• La créativité humaine pour les aspects émotionnels et esthétiques
• La rigueur méthodologique pour garantir des expériences utilisateur optimales

Cette transformation exige des professionnels qu'ils affûtent leur jugement esthétique sans abandonner la rigueur analytique. Les tests utilisateurs, les feedbacks structurés et l'approche scientifique du design gardent toute leur pertinence, même si elles deviennent moins visibles dans les organigrammes.

Anticiper les mutations du secteur

Deux scénarios se dessinent pour l'évolution du métier :

Le scénario optimiste voit les designers se transformer en créateurs d'émotions, capables de transcender la simple utilisabilité pour créer des expériences vraiment différenciantes. L'UX devient l'arrière-plan technique, géré par l'automatisation.

Le scénario critique craint une fragmentation de la discipline, où l'accessibilité, l'inclusion et la recherche rigoureuse perdent du terrain face à des opinions esthétiques non documentées.

La réalité se situera probablement entre ces deux extrêmes, mais cette réflexion de Shopify force la profession à s'interroger sur son avenir.

Recommandations pour naviguer cette transition

Face à ces évolutions, plusieurs pistes s'ouvrent aux designers :

Développer une posture hybride qui combine intuition créative et rigueur méthodologique. Le "goût" seul ne remplace pas une approche structurée, mais il peut l'enrichir considérablement.

Maintenir une culture UX solide même si les titres évoluent. Continuer à documenter et valoriser les démarches de recherche utilisateur, même quand elles deviennent moins formalisées.

Assumer un rôle de product designer inclusif qui intègre UX, UI et recherche dans une approche cohérente, avec un fil rouge artisanal fort.

Anticiper les besoins émergents en développant une expertise sur les aspects que l'IA ne peut pas couvrir : empathie, créativité contextuelle, vision stratégique.

Une révolution en marche ?

La suppression du titre "UX Designer" chez Shopify symbolise une mutation profonde de l'industrie du design. Au-delà de l'aspect communication, cette décision interroge l'équilibre entre efficacité technique et créativité humaine.

L'intelligence artificielle redéfinit effectivement les contours du métier, mais elle ne supprime pas le besoin d'une approche centrée utilisateur. Elle transforme plutôt la façon dont cette approche s'exprime et se valorise.

L'avenir appartiendra probablement aux designers capables de naviguer entre ces deux mondes : exploiter la puissance de l'IA pour les aspects techniques tout en développant une expertise humaine irremplaçable sur les dimensions émotionnelles et stratégiques du design.

Cette évolution questionne chaque professionnel : où placer sa valeur ajoutée dans un monde où l'utilisabilité de base devient commoditisée ? La réponse déterminera non seulement l'avenir individuel des designers, mais aussi celui de la discipline dans son ensemble.

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